Friandes de sacs, les boutiques de mode indépendantes leur offrent une mise en scène séduisante et un vaste maillage territorial. Sans bouder les spécialistes de la maroquinerie, elles privilégient des marques créatives, cherchent la perle rare et un rapport qualité prix pour une clientèle dont le budget se fragmente. Un appel d’air certain pour les créateurs, mais pas franchement une menace pour le circuit plus restreint des détaillants maroquiniers.
« Quand nous avons démarré l’activité il y a une dizaine d’années, se souvient Olivier Farsat-Humier, gérant du showroom Joe & Co à Avignon, personne ne croyait à l’idée de diffuser des sacs dans les boutiques de prêt-à-porter. Avec le recul, on voit bien que la tendance s’est complètement inversée. Depuis, nous sillonnons tout le sud de la France avec 7 agents et une douzaine de marques de textile et d’accessoires. » Dans l’escarcelle de Joe & Co, Laurence Doligé, pour le prêt-à-porter milieu haut de gamme, mais surtout des signatures de sacs déjà rayonnantes, telles que Petite Mendigote, placée dans plus de 140 points de vente, les produits made in France d’Estellon, des jeunes pousses en phase de décollage comme Craie, présente dans 80 magasins du Sud-Ouest à Rhône-Alpes, ou encore les sacs ethniques de la jeune griffe Folklo by Ka. Bref, un style « Girly », un peu bohème, qui porte depuis quelque temps, précise le responsable « des arguments éthiques ou de made in France, qui sont une vraie tendance dans le Sud. » Alors, un bon pari le circuit des indépendants de la mode ? « Nous l’avons pris en ciblant un merchandising soigné, des spécialistes qu’on encourage à muscler leur visibilité, leur offre de services, et un bon rapport qualité prix », répond Olivier Farsat-Humler. En face, les détaillants jouent le jeu. A côté des enseignes de succursalistes qui se dupliquent uniformément dans tous les centres-villes et des pratiques opportunistes de picking sans lendemain, l’enjeu est bien d’installer des fournisseurs dans la durée. « Les multimarques de vêtements apportent une diversité incomparable et contrairement à une idée reçue, les griffes de maroquinerie peuvent s’y installer durablement », soutient-il, sans méconnaître la nouvelle génération de concept stores et de boutiques de chaussures, voire de décoration, qui attire également ses marques.
Contrer la concurrence des enseignes
Davantage orienté vers le segment du jeanswear, le showroom Crossroad France France distribue le prêt-à-porter de Calvin Klein, Versace jeans et Guess dans le sud de la France. Selon Mathias Rollin, responsable des ventes, l’effort s’intensifie sur l’accessoire pour répondre aux souhaits des magasins de proposer des offres complètes. « Les sacs apparaissent comme des articles très complémentaires dans un environnement mode. Ils ne posent pas de problème de taille et se prêtent tout à fait aux achats coups de cœur. » Son réseau d’agents en fait l’expérience avec les accessoires Dirk Bikkembergs et la bagagerie Calvin Klein. Sa conviction est que, contrairement au textile qui souffre beaucoup de la concurrence des enseignes, une demande forte persiste pour l’achat de chaussures et de sacs en réseau indépendant. La tendance serait même à pousser des marques spécialistes, et non plus seulement les lignes ou licences d’accessoires des labels de prêt-à-porter. « C’est typiquement ce que nous faisons avec les sacs en jean recyclé César et Louise, détaille-t-il. Nous apportons une histoire, de la personnalisation, un style original et diversité dans des options de matières ». Achats coup de cœur, compléments de silhouette mode, originalité et diversité sont les arguments qui reviennent le plus souvent souvent, quand on interroge cette fois les détaillants de prêt-à-porter, sur la place qu’ils accordent à leur offre de sacs. The Cosy Shop à Pont-Aven en donne une première illustration avec son assortiment de sandales et de sacs acclimatés au voisinage du bord de mer, qui comprend Loxwood, Barbour acccessoires, Atelier Bower, Cuir & Terre et plusieurs marques de chapeaux. « Notre offre est relativement stable , admet Marie-Anne Jaffré, gérante, mais je suis toujours à l’affût de créateurs qui apportent de la valeur ajoutée en finition et en matières ». Chez Lolita à Marmande, Yannick Dumas s’en tient aux accessoires de ses fournisseurs de vêtements, diffusés à un prix qui ne dépasse pas les 170 euros. Les articles Le Temps des Cerises, Lollipops, IKKS, Desigual occupent 20% de sa boutique… « Au cours de nos visites en showroom, je retiens des silhouettes avec accessoires assortis. En magasin cela marche plutôt bien, mais mon positionnement dans une petite ville ne me permet pas d’aller au-delà, avec des marques de spécialistes », explique-t-il en ajoutant avoir, dans le passé, mis en boutique également Barbara Rihl et Catherine Parra. Chez Jules et Julie à Redon, la demande d’accessoires a tout simplement encouragé la gérante de prêt-à-porter Gisèle Jaffray à ouvrir un point de vente de 90 m2 dédié aux sacs, chaussures et autres accessoires. Côté mode, les sacs accompagnent uniquement les silhouettes en vitrine ; côté accessoires, on trouve l’offre de Petite Mendigote, Lamarthe, Loxwood, IKKS, les sacs colorés et les textiles coordonnés du créateur américain Yarnz, et bientôt un corner Lipault pour la bagagerie souple. Plus haut de gamme, Beki boutique, 140 m2 à Cherbourg-Octeville, est aussi plus sélective. Aux côtés des vêtements Kenzo, Liu Jo, Sinéquanone, Indies, Bleu Blanc Rouge, etc., l’offre de sacs est limités à Armani et au spécialiste Mac Douglas, après avoir un temps inclus également Liu Jo et Barbara Rihl. « Il faut savoir renouveler, commente Rebecca Candas, gérante. Mais s’agissant des créateurs il faut vraiment qu’ils sortent des sentiers battus ». Avec la maroquinerie Liu Jo, Sonia Rykiel, Sabatier 1947 et l’italien Coccinelle, Sylvie Moneuze, responsable de la boutique Gino au Mans, évoque également un « complément indispensable pour apporter de la valeur ajoutée dans son magasin et une proposition très personnelle, dans laquelle la cliente peut se projeter ». Même sentiment chez Pom, qui compte trois points de vente à Marseille. « Le sac c’est le produit idéal, insiste Caroline Baron. Il vient enrichir la silhouette, dès lors que la marque apporte des coloris et un renouvellement, qui permettent de faire des choix de style. » Elle vend les accessoires signés Arizda Bross, Paul Smith, Armani, Michael Kors et envisage d’intégrer dès la rentrée « un créateur de maroquinerie à l’esprit plus artisanal ».
Des budgets plus resserrés et des achats fragmentés
En quête de ces articles, les boutiques de mode connaissent aussi le budget de leur clientèle. Et celui-ci a tendance à se réduire. Pour beaucoup, 300-350 euros est le prix de vente plafond indépassable. C’est le cas de la plupart des marques dites créateurs. « J’ai arrêté les beaux produits en cuir, commente Julien Alberge, gérant de Jolie Julie, à Bordeaux. Les clientes ne viennent pas dans nos boutiques, si elles sont prêtes à dépenser 300 euros pour un sac ! » Il est très satisfait, en revanche, de la petite maroquinerie Mywalit et Ögon Designs, qu’il dit avoir bien vendue autour de 100 euros. Pourtant fidèle à des griffes spécialistes , telles que il Bisonte ou Jean-Louis Fourès, Caroline Maes, gérante de la boutique Pulsion à La Roche-sur-Foron, partage ce point de vue. « J’ai l’impression que les femmes ont un budget pour le prêt-à-porter et qu’elles achètent les sacs ailleurs. Pour notre clientèle, 350 euros est vraiment le prix maximum ». Même plafond chez Sol y Luna à Douvaine, ou Linda Brunon distribue la maroquinerie Bergé, Nica, Elisa Cavaletti, United Nude. La responsable constate, depuis plusieurs saisons, un tassement du panier moyen et dir « qu’il est difficile de dépasser 349 euros. » A l’unisson, Valérie Moneuze au Mans témoigne de cette évolution des pratiques d’achat. « L’accessoire revient en force, mais les paniers moyens se réduisent. La cliente, qui achetait dans le passé une belle pièce à 900 euros, préfère aujourd’hui s’offrir trois petits sacs Liu Jo. D’où l’importance pour nous d’avoir un éventail de prix intermédiaires à partir de 130 euros. » Certes, selon les villes, les emplacements et les niveaux de gamme des points de vente, les avis divergent, bien sûr. A Dijon par exemple, Joséphine S diffuse notamment le prêt-à-porter de Laurence Doligé et les accessoires Fred de la Bretonière, Shabbies Amsterdam, Linde Gallery et ponctuellement, la maroquinerie de ses fournisseurs textiles. Debby Smits, la gérante, consacre un budget de plus de 5000 euros par saison pour ces sacs dont elle recherche avant tout l’originalité. « Le prix public indique-t-elle peut atteindre 550 euros. » Et surtout, elle ne conçoit pas que les clientes puissent rechercher ces articles chez les maroquiniers traditionnels à l’image bien plus classique. Pour La Marche du Temps à Clermont-Ferrand, la responsable Nathalie Abreu affiche une grande fidélité à ses fournisseurs et en même temps un goût prononcé pour la découverte. Aux côtés de Repetto, Craie, Paul & Joe Sister, la griffe italienne Zanellato est la dernière trouvaille qu’elle vient de référencer. « Pour des produits en cuir de haute facture, les prix de vente peuvent tout à fait être compris entre 450 et 600 euros. En revanche l’offre fantaisie plafonnera à 250 euros », assure-t-elle.
Des commandes et des plannings adaptés
Pas toujours à l’aise avec les minimums de commande imposés, l’expérience a nourri chez certains détaillants un soin particulier pour une gestion adaptée des plannings de livraison et de renouvellement. « Le temps n’est plus à l’achat d’une pleine collection d’un seul tenant. Je choisis vraiment ce qui me convient, indique Valérie Moneuze pour Gino boutique. Et je m’assure de pouvoir obtenir des livraisons tous les mois, c’est crucial pour la vie du magasin. » Chez Joséphine S, le timing est plus serré encore. « Je suis dans la stock list des fournisseurs, qui me proposent du réassort toutes les semaines », confirmeDebby Smit. Chez Jade à La Baule, ou l’accessoire pèse peu avec Loxwood pour seule marque de cabas, Michèle Abélard se dit « prudente sur les stocks bien que toujours en veille pour compléter son assortiment de prêt-à-porter ».
De la mode à la maroquinerie
Présentée comme indispensable à l’assortiment de prêt-à-porter, la proposition de sacs dépasse rarement les 15 à 30 % des ventes réalisées dans ce canal, avec une poignée de marques en magasin et une largeur d’offre forcément restreinte, faute de place ou de budget. Débouché privilégié des créateurs qui grignotent sur la part des licences de griffes de mode, ce circuit au dense réseau de boutiques a aussi de quoi séduire quelques spécialistes de la maroquinerie. Mais sans doute pas au point de faire ombrage au canal plus restreint des maroquineries indépendantes. Mieux, ces expériences de vente, ou la qualité de l’assortiment, la prise de risque dans la sélection des marques, le merchandising et une politique de prix réaliste pourraient profiter également aux maroquiniers audacieux. C’est opportunément l’orientation qu’amorce sous nos yeux la marque française Loxwood. Dans le vide laissé par le départ Lancel, il s’agit de réinvestir le canal des maroquineries multimarques avec le concours de Nathalie Bodmer, ex-directrice commerciale de Lancel. « Nous avons toujours eu une diffusion chez les détaillants spécialisés, parallèlement aux boutiques de mode, explique Cyril Mercier, PDG de Loxwood. La nouvelle stratégie consiste à apporter au réseau des maroquiniers notre statut de fabricant et un collectionning séduisant en cabas et sacs à des prix abordables – entre 99 et 200 euros – qui cadrent avec l’évolution majeure des pratiques de consommation. » A suivre…
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